Le centre de ressources du CLER Réseau pour la transition énergétique rend hommage à Bruno Latour, philosophe français décédé le 9 octobre 2022 à l'âge de 75 ans.
Petit choix de citations.
"La nature n’est pas une victime à protéger, elle est ce qui nous possède."
Mémo sur la nouvelle classe écologique, Empêcheurs de tourner en rond, 2022.
"Cette idée d’environnement n’a guère de sens puisque vous ne pouvez jamais dessiner la limite qui distinguerait un organisme de ce qui l’entoure. Au sens propre, rien ne nous environne, tout conspire à notre respiration. Et l’histoire des vivants est là pour nous rappeler que cette terre si « favorable » à leur développement, ce sont les vivants qui l’ont rendue favorable à leurs desseins - desseins si bien cachés qu’ils les ignorent eux-mêmes tout à fait !"
Où suis-je ? , Empêcheurs de tourner en rond, 2021.
"Le XIXe siècle a été l’âge de la question sociale ; le XXIe siècle est l’âge de la nouvelle question géo-sociale."
"Les élites ont été si bien convaincues qu’il n’y aurait pas de vie future pour tout le monde qu’elles ont décidé de se débarrasser au plus vite de tous les fardeaux de la solidarité — c’est la dérégulation ; qu’il fallait construire une sorte de forteresse dorée pour les quelques pour-cent qui allaient pouvoir s’en tirer — c’est l’explosion des inégalités ; et que pour, dissimuler l’égoïsme crasse d’une telle fuite hors du monde commun, il fallait absolument rejeter la menace à l’origine de cette fuite éperdue — c’est la dénégation de la mutation climatique."
"Que faire? D'abord décrire. Comment pourrions-nous agir politiquement sans avoir inventorié, arpenté, mesuré, centimètre par centimètre, animé par animé, tête de pipe par tête de pipe, de quoi se compose la terre pour nous ?"
"Il existe ... un épisode de l'histoire de France qui pourrait donner une idée de l'entreprise : l'écriture des cahiers de doléances, de janvier à mai 1789, avant que le tournant révolutionnaire transforme la description des plaintes en une question de changement de régime ... Figure que l'on retrouve aujourd'hui dans l'immense et paralysante question de remplacer le Capitalisme par un autre régime."
Où atterrir ? Comment s'orienter en politique. La Découverte, 2017.
"Ils ne voient l'avenir que sous la forme de romans d'anticipation. Rien de surprenant à cela: ils n'ont jamais fait assez attention à la direction dans laquelle ils s'engageaient, obsédés par l'idée d'échapper à leur attachement avec la vieille terre. Habiles au détachement, ils semblent vraiment naïfs quand la question se pose du rattachement à une nouvelle résidence, de la délimitation d'un nouveau nomos. Ils ressemblent à des astronautes se préparant à faire une sortie dans l'espace sans combinaison. Les Modernes sont extraordinairement habiles à se libérer des chaînes de leur passé archaïque, provincial, renfermé, local, territorial, mais quand il s'agit de désigner les nouvelles localités, les nouveaux territoires, les nouvelles provinces, les nouveaux réseaux étroits vers lesquels ils émigrent, ils se contentent d'utopie, de dystopie, de publicité et de grands mouvements de poitrine, comme s'ils avaient vraiment des poumons aptes à respirer l'air subtil et toxique de la mondialisation."
Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique. La Découverte, 2015.
"Le citoyen, dans la sphère privée, a aujourd'hui tendance à se considérer comme un spectateur sourd assis dans la rangée de derrière, qui devrait se concentrer sur les mystères, au-dehors, mais ne parvient pas vraiment à rester éveillé. Il sait qu'il est d'une manière ou d'une autre affecté par ce qui se passe. Les règles et les règlements, en permanence, les impôts, chaque année et les guerres, de temps à autre, lui rappellent qu'il est emporté par le tourbillon des circonstances. Ces affaires publiques ne sont pourtant en aucune façon ses affaires. Elles sont en très large partie invisibles. Elles sont gérées, pour autant qu'elles le soient, dans des centres lointains, derrière les scènes, par des pouvoirs sans nom. En tant que personne privée, il n'est jamais sûr de ce qui se passe, de qui s'en charge, ou vers où on l'entraîne. Aucun journal ne rend compte de l'environnement du citoyen de telle façon qu'il puisse se l'approprier ; aucune école ne lui a appris comment le concevoir ; ses idéaux, souvent, sont en porte-à-faux avec cet environnement, et écouter des discours, exprimer des opinions et voter ne lui semblent pas permettre de le gouverner. Il vit dans un monde qu'il ne peut pas voir, qu'il ne comprend pas et qu'il n'est pas à même de maîtriser."
Le public fantôme. Bruno Latour nous invite à découvrir Le Public fantôme, publié par Walter Lippmann en 1925. Editions Demopolis, 2008.
"Que faire si nous ne pouvons plus avancer ni reculer ? Déplacer notre attention. Nous n’avons jamais ni avancé ni reculé. Nous avons toujours trié activement des éléments appartenant à des temps différents. Nous pouvons trier encore. C’est le tri qui fait le temps et non pas le temps qui fait le tri. Le modernisme – et ses corollaires anti- et postmodernes – n’était qu’une sélection faite par un petit nombre au nom de tous. Si nous sommes plus nombreux à récupérer la capacité de trier nous-mêmes les éléments qui font partie de notre temps, nous retrouverons la liberté de mouvement que le modernisme nous déniait, liberté qu’en fait nous n’avions jamais vraiment perdue. Nous n’émergeons pas d’un passé obscur qui confondait les natures et les cultures pour parvenir à un futur où les deux ensembles se sépareront enfin nettement grâce à la continuelle révolution du présent. Nous n’avons jamais été plongés dans un flux homogène et planétaire venu soit de l’avenir, soit du fond des âges. La modernisation n’a jamais eu lieu. Ce n’est pas une marée longtemps montante qui refluerait aujourd’hui. Il n’y a jamais eu de marée. Nous pouvons passer à autre chose, c’est-à-dire revenir aux multiples choses qui ont toujours passé de façon différente."
Nous n'avons jamais été modernes : Essai d'anthropologie symétrique, La Découverte, 2005.
"Le droit n'ira droit que si tout le contexte est pris en compte selon une certaine conception de la morale publique. Il est essentiel à la qualité du droit qu'il n'y ait pas que du droit dans le droit."
La fabrique du droit. Une eth,ographie du Conseil d'Etat. La Découverte, 2002.