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La notion d'autonomie énergétique a souvent été employée, et l'est encore parfois, en lieu et place ou en parallèle de celle de territoire à énergie positive (TEPOS). Elle amène à poser deux questions. La première porte sur la notion d'autonomie d'un territoire. Comment la caractériser, a fortiori lorsque ses acteurs inscrivent leur initiative dans le cadre de la réponse à un appel à projet émanant d'une autorité qui leur est extérieure ? La seconde porte sur le résultat attendu. Dans un contexte de circulation généralisée des flux énergétiques inscrits dans des réseaux internationaux, doit-on cantonner un projet d'autonomie énergétique au fait de répondre aux besoins d'un territoire (et seulement ceux-ci) ?
Interroger le projet, c'est d'abord poser la question de son auteur. Les Territoires à énergie positive peuvent être analysés au travers de cette question. D'une part, certains sont nés de démarches inscrites dans leur histoire longue (Mené, Thouarsais, Loos-en-Gohelle, etc). D'autre part, ils résultent de procédures impulsées par les Régions (et/ou les directions régionales de l'ADEME), et puis depuis 2014 par l'Etat, dans le cadre de la loi sur la transition énergétique et plus particulièrement l'appel à projets Territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV). La question est d'analyser les conditions dans lesquelles les territoires issus de ce deuxième mouvement acquièrent la capacité à s'inscrire dans une dynamique d'autonomie énergétique territoriale.
Les collectivités locales tendent à devenir des réceptacles de procédures qui leur sont externes. Dans un cadre où les compétences de chaque niveau d’intervention (Europe, Etat, région, département) sont loin d'être différenciées, chacun d'entre eux secrète son propre système de normes et de règles qui le distingue de l’autre. Les collectivités locales deviennent des "territoires de projets". Elles sont l'objet de projets dont les auteurs leur sont extérieurs. Cette approche diffère de la notion d’autonomie qui apparaît comme la volonté d'une société de se conformer à des lois dont elle s'est elle-même dotée.
Même s'il se traduit par un contrat, l'appel à projets confère à son auteur la capacité à dire les règles dans lesquelles le bénéficiaire va devoir inscrire son action. Au delà de l’autonomie financière et des capacités humaines, c’est l’autonomie de l'organisation qui est questionnée. Elle est déterminante dans un contexte de transition, où il s'agit de penser les changements de pratiques, en mobilisant les ressources spécifiques aux territoires. Ce changement d’optique intervient au travers du recours au "projet de territoire". Les acteurs du territoire deviennent les sujets du projet, au travers d’un processus de pronominalisation qui mérite d’être explicité, au travers du tableau ci dessous.
Territoire de projets | Projet de territoire | |
Auteurs du projet | Partenaires institutionnels extérieurs aux territoires, avec un recours croissant à la notion d’appel à projet. | Acteurs du territoire, engagés dans une logique de coordination |
Caractéristiques du territoire | Territoires « donnés » au sein de limites labiles, en fonction de l’évolution des procédures | Territoires « construits » par les acteurs du territoire |
Temporalités | Liée à la procédure mise en œuvre | Longue |
Ressources mobilisées | Mobilisation de ressources génériques et spécifiques au territoire | Processus continu de révélation, construction et coordination de ressources spécifiques au territoire |
Moyens financiers et humains | Dépendants des procédures mobilisées | Stabilisés au travers d’une recherche d’autonomie humaine et financière |
Principes de gouvernance | Juxtaposition de systèmes de normes issues des partenaires externes | Recherche de coordination de normes externes voire production de systèmes de normes spécifiques au territoire, au travers de la construction de modes de gouvernance adaptés |
Le projet de territoire repose sur la mobilisation d'une intelligence territoriale qui résulte d'une coordination d'acteurs différenciés, inscrite sur une longue durée. Elle confère à ses porteurs une capacité à penser les changements et à mettre en œuvre des stratégies adaptées à leurs capacités.
Le projet de territoire renforce la capacité du territoire à construire des relations avec d'autres territoires, sur la base d'un projet qui lui est spécifique. Même si le rapporteur de la loi sur la transition énergétique affirmait que "développer des moyens de production qui ne répondraient à aucune demande locale est source d'inefficacités et génère des surcoûts" (1), les TEPOS n'ont pas vocation à ne travailler que pour eux-mêmes.
Ils s'inscrivent dans le passage du développement local au développement territorial, auquel on assiste depuis les années 1970. En réponse aux premiers signes de la crise, le développement local reposait sur la capacité d'initiatives des acteurs locaux, pour mobiliser des ressources locales en réponse aux besoins locaux. Après avoir été initié de manière autonome par quelques collectivités, telles que le Mené, ce modèle a été longtemps fortement appuyé par l'Etat, au travers de multiples procédures (Plans d'Aménagement Ruraux, Contrats de pays), mais il s'est rapidement révélé insuffisant pour faire face à la crise des systèmes productifs locaux.
En approfondissant les processus de coordination d'acteurs, certains territoires ont pu s'engager dans des processus de construction de ressources spécifiques et ancrées aux territoires. Ces constructions mobilisent des capacités d'intelligence collective qui résultent de la mobilisation de savoir-faire locaux, de leur coordination avec des connaissances externes et de la construction de connaissances à partir du croisement des regards et de la capitalisation des expériences. C'est ce processus qui induit la construction de ressources "territoriales", qui vont pouvoir être positionnées sur des marchés extérieurs aux territoires. Le schéma suivant peut être appliqué au secteur de l'énergie.
Les territoires TEPOS ont vocation à s'insérer dans des réseaux qui dépassent largement leurs limites. Les groupes énergétiques territorialisés (souvent construits autour d'une Entreprise Locale de Distribution) témoignent déjà de leur capacité à entrer sur les marchés de l'électricité et du gaz. L'effet réseau peut aussi être pensé par le renforcement d'échanges portant sur les façons de mettre en œuvre la transition énergétique. Il peut aussi porter les modes de gouvernance, et leur capacité à faire évoluer les normes et règles issues d'autres autorités.
Au final, nous proposons de définir l'autonomie énergétique territoriale comme résultant de la capacité d’un territoire à optimiser le bouclage des flux énergétiques, et à maîtriser la mise en œuvre des trajectoires de transition énergétique (humaine, organisationnelle, financière, démocratique, décisionnelle). Notre hypothèse est que cette dynamique est conditionnée par l'existence d'opérateurs territoriaux de l'énergie, inscrits dans des réseaux qui seront à même de construire cette autonomie énergétique territoriale.
Auteurs
Pierre-Antoine Landel, enseignant chercheur en géographie aménagement à l'Université Grenoble-Alpes, UMR PACTE : pierre-antoine.landel[à]ujf-grenoble.fr
Lucas Durand, doctorant en géographie à l'Université Grenoble-Alpes, UMR PACTE : Durand-l[à]laposte.net
Yannick Régnier, responsable de projets au CLER, animateur du Réseau TEPOS : contact[à]tepos.fr
Note
(1) Voir l'amendement n°CSENER218 au projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte déposé par Mme Battistel et Mr Brottes le 14 avril 2015 et adopté.