"Devant des oppositions de plus en plus diverses et nombreuses, le ministère de l'Industrie pense à les installer en mer La guerre des éoliennes fait rage. D'un côté, des industriels attirés par une source nouvelle de profit, des maires qui ne résistent pas à l'attrait de la taxe professionnelle, des écologistes chantres de l'énergie propre. De l'autre, ces mêmes défenseurs de la nature et les futurs riverains qui dénoncent les pollutions visuelles et sonores des moulins à vent modernes, sans compter les risques d'accidents que le ministère de l'Industrie cherche à prévenir. Entre les deux, les pouvoirs publics contraints par Bruxelles d'augmenter la part de l'éolien dans la production globale d'électricité. Muriel Frat [05 avril 2004] Au 31 janvier 2003, les 56 parcs installés en France produisaient seulement 253 Mégawatt (+ 91 MW par rapport à 2002), soit une augmentation de 60%. En 2004, 37 parcs supplémentaires devraient voir le jour. La mise en place, en 2001 d'un tarif de rachat obligatoire imposé à EDF pendant quinze ans pour les machines de moins de 12 MW, a dopé la filière. Agriculteurs et propriétaires terriens sont désormais sensibles aux sirènes du vent. Quant aux entreprises, elles ont compris, comme l'explique Gilles Cochevelou, directeur des énergies renouvelable de Total, que «les énergies fossiles ne sont pas éternelles, elles devraient commencer à décliner à partir de 2020. Il faut se préparer à l'avenir.» Du coup, les projets prolifèrent, déclenchant l'opposition grandissante de la population et, paradoxalement, des écologistes. «Des prospecteurs avides sillonnent le pays pour installer dans des communes désargentées des machines à bruit et à décapiter, tempête Jacky Bonnemain, responsable de l'association Robin des Bois. Il n'est plus un plateau, une falaise qui ne soient menacés par un capitaliste du vent.» Hélène Gassin, chargée de l'énergie dans l'association Greenpeace, admet que «des mouvements anti-éoliens se développent mais les grosses organisations écologistes sont favorables à cette énergie. Les motivations des opposants sont disparates : il y a ceux qui prennent ce prétexte pour alimenter des querelles locales ; il y a aussi les pronucléaires qui en profitent pour monter une association.» Il n'empêche, un vent de fronde souffle à l'initiative des futurs riverains, comme ceux du plateau d'Arnouville-les-Mantes (Yvelines), convoité à la fois par Total et la Compagnie du vent. «L'installation d'éoliennes hautes de 130 mètres dans la ceinture verte de Paris est une aberration, estime Paul de la Panouse, le propriétaire du château de Thoiry. Elle suppose la création de routes qui défigureront définitivement le paysage.» Marie-Christine Piot, présidente de l'association Sauver, renchérit : «Ces éoliennes créeraient des nuisances visuelles et sonores considérables pour une efficacité faible puisque la région est peu ventée. De plus, ces engins menacent la sécurité, plusieurs se sont déjà brisés.» Deux accidents sont survenus en quelques mois à Boulogne-sur-Mer et à Dunkerque. Le 1er janvier, une machine de la ferme éolienne du Portel (Pas-de-Calais), haute de 60 mètres, s'est brisée. Une enquête est en cours pour déterminer l'origine de l'accident, probablement une défaillance d'entretien. Le 20 mars, une éolienne du port de Dunkerque est tombée à terre sous l'effet de violentes rafales. «Ces accidents sont rarissimes, corrige Jean-Louis Bal, directeur des énergies renouvelables à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Le suivi de 1 912 éoliennes danoises montre que la probabilité de destruction d'une machine est de 0,00083% par an.» «Aucune éolienne n'est tombée pendant les tempêtes de 1999, pas une n'a provoqué d'accident corporel grave», plaide Frédéric Tuillé, chargé d'études à l'Observatoire des énergies renouvelables. Ce qui n'empêche pas le Syndicat des énergies renouvelables (SER) de réclamer «des mesures de sécurité comme l'emploi d'aérogénérateurs certifiés et la vérification des fondations par un bureau de contrôle». Car, si les procédures d'implantation sont lourdes (étude d'impact, permis de construire, enquête publique, etc.), aucune certification du matériel n'est exigée. «Une circulaire comblant ce vide juridique devrait être publiée avant l'été», assure le ministère de l'Industrie. Les éoliennes seraient aussi inoffensives pour les oiseaux. «Lors des migrations, les oiseaux les identifient, ils ne les percutent pas, analyse Yann André, chargé d'études à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Ils dépensent simplement plus d'énergie car ils modifient leur parcours.» Face à la résistance populaire, les préfets sont réticents à délivrer les permis de construire. «Ils ont reçu une circulaire les invitant à instruire les demandes dans des délais normaux mais ils subissent parfois la pression des élus», reconnaît le ministère de l'Industrie. Pour André Antolini, président du Syndicat des énergies renouvelables, «il y a nettement plus de refus que d'acceptations. Dans l'Aude, quinze permis sur seize ont ainsi été refusés ; dans les Côtes-d'Armor, on a enregistré douze demandes et douze refus.» Comment contourner cette opposition ? En regardant vers la mer. Un appel d'offres pour des projets offshore a été lancé, en février, par le ministre de l'Industrie. Les entreprises ont jusqu'au 14 août pour déposer leurs dossiers. Leur tâche n'est pas aisée car «les éoliennes maritimes, si elles bénéficient de vents plus réguliers, posent des problèmes d'implantation, de raccordement au réseau électrique et de maintenance», indique Jean-Louis Bal. «Toutes les zones ne sont pas propices, poursuit Gilles Cochevelou. La Méditerranée, où la profondeur augmente rapidement, est moins favorable que la mer du Nord, le Cotentin ou la Bretagne. Plus les fondations sont profondes, plus les éoliennes sont installées loin des côtes, plus les fermes off shore coûtent cher.» A ces obstacles s'ajoutent l'hostilité des pêcheurs et des plaisanciers. Décidément, la France, située en 9e position de la classe européenne en matière de production d'électricité à partir de l'énergie du vent, n'est pas près de combler son retard. "
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