"LE MONDE | 27.05.04 | 14h02 • MIS A JOUR LE 27.05.04 | 14h21 La hausse du prix du baril du pétrole et le débat en cours sur l'énergie pourraient favoriser le développement du diester et de l'éthanol. Peu polluants et renouvelables, ces carburants issus de plantes permettent de réduire les gaz à effets de serre, mais restent plus coûteux que les énergies fossiles Grand-Couronne (Seine-Maritime) de notre envoyée spéciale Au cœur de la zone portuaire et industrielle de Rouen est fabriqué un carburant utilisé, à leur insu, par de nombreux automobilistes : le diester. Ce biocarburant, renouvelable et peu polluant, est issu du colza. Pour le fabriquer, l'usine de Grand-Couronne reçoit chaque année, en provenance du quart nord-ouest de la France, 800 000 tonnes de graines, dont sont extraites 350 000 tonnes d'huile. Les deux tiers, après transformation, finiront dans le réservoir des voitures. Il ne s'agit pas de substituts aux carburants classiques, mais de compléments : le diester peut être mélangé au gazole et l'éthanol - obtenu à partir de la betterave ou du blé - à l'essence. Cette usine, construite en 1993, témoigne d'une époque où la France était pionnière dans le domaine des biocarburants. Après la réforme de la politique agricole commune (PAC) de 1992, qui introduit la jachère, les agriculteurs sont autorisés à y cultiver des plantes énergétiques. Les zones de grande culture (Beauce, Picardie...) se lancent dans cette voie, avec l'aide financière des pouvoirs publics..., avant de plafonner. Biodiesel et éthanol ne sont aujourd'hui présents qu'à hauteur de 1 % en moyenne dans le carburant vendu en France. L'Union européenne (UE) a pourtant fixé un cap, par deux directives adoptées en 2003. Les objectifs chiffrés (2 % de biocarburants en 2005 ; 5,75 % en 2010) sont indicatifs. L'augmentation du prix du pétrole et l'examen du projet de loi d'orientation sur les énergies - en cours à l'Assemblée nationale - incitent les promoteurs des biocarburants à réclamer une relance rapide de la filière. Lundi 24 mai, un amendement reprenant les objectifs de la directive européenne a été adopté par les députés. Pour les filières agricoles intéressées, l'enjeu économique est crucial : les récentes réformes de la PAC les contraignent à trouver de nouveaux débouchés. DÉFISCALISATION Les biocarburants présentent plusieurs atouts. Issus de plantes qui se développent en fixant le carbone, ils permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de 60 % pour le diester et de 70 % pour l'éthanol, selon une étude réalisée sous l'égide de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et de la direction des ressources énergétiques du ministère de l'industrie (Direm), publiée en septembre 2002. Or, selon le protocole de Kyoto, les pays européens doivent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 8 % (par rapport à 1990) d'ici à 2012. 30 % des émissions sont dues aux transports. Toujours selon cette étude, le bilan énergétique des biocarburants est très positif : ils produisent plus d'énergie qu'ils n'en consomment, à l'inverse du gazole et de l'essence. En outre, leur développement permettrait de diversifier les sources d'approvisionnement en énergie de la France. Le principal obstacle à leur développement reste leur coût, plusieurs fois supérieur à celui des produits pétroliers. Seule la défiscalisation dont ils bénéficient, qui coûte 180 millions d'euros à l'Etat chaque année, leur permet d'être compétitifs. Le ministre délégué à l'industrie, Patrick Devedjian, l'a rappelé lors du débat à l'Assemblée nationale. ""Dans le domaine des biocarburants, il faut nourrir une grande ambition, mais avoir aussi l'honnêteté de reconnaître que cette filière coûte cher : 200 euros par tonne de CO2 économisée, 50 000 euros par emploi sauvegardé"", a-t-il déclaré. ""Nous sommes plus chers que l'énergie fossile, c'est vrai, reconnaît Georges Vermeersch, directeur de la prospective et des innovations chez Sofiprotéol, l'établissement financier des producteurs d'oléo-protéagineux. Mais dans le prix du pétrole n'apparaît pas le coût des marées noires, voire des conflits qu'il engendre. Tandis que les biocarburants ont des effets positifs en termes d'emploi, de recettes fiscales, de sécurité d'approvisionnement."" Les retombées sur l'emploi local sont évaluées de 6 à 10 emplois pour 1 000 tonnes produites. Les producteurs mettent en avant leurs surfaces disponibles et leurs capacités d'investissement. Plusieurs projets d'usines sont dans les cartons. Leur construction permettrait des gains de productivité importants, selon les industriels. ""Nous sommes une filière naissante, qui a besoin d'appui, affirme Alain Jeanroy, directeur général de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). Les arguments techniques des pétroliers manquent d'objectivité : comment roulent les voitures dans les pays qui utilisent massivement de l'éthanol, tels que les Etats-Unis ou le Brésil ?"" Qui paierait ce développement ? Les contribuables, via l'attribution de nouvelles défiscalisations ? Ou les consommateurs, à la pompe ? Pourquoi ne pas importer à moindre coût le biocarburant du Brésil, le plus gros pays producteur ? Les négociations commerciales en cours avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) sèment la panique en France. ""Ouvrir de nouveaux contingents d'importation dès à présent reviendrait à tuer la filière française dans l'œuf"", s'alarme Dominique Ducroquet, président de la CGB. INTENSIFICATION DES CULTURES Au nom de la Confédération paysanne, Guy Le Fur se déclare ""a priori favorable""aux biocarburants, mais émet plusieurs bémols. ""Ils ne doivent pas entrer en concurrence avec l'alimentaire, qui reste la fonction première de l'agriculture"", affirme-t-il. Par ailleurs, l'intensification des cultures promises par la filière ne convient guère à la Confédération, qui prône des pratiques agricoles où les rotations permettent de diminuer le recours aux engrais et pesticides. ""Le développement des biocarburants est pensé uniquement en termes industriels, regrette M. Le Fur. Il faut mettre en place des microprojets, comme la méthanisation à la ferme ou l'utilisation d'huile directement dans les véhicules agricoles."" Greenpeace voudrait également que soient privilégiés les ""systèmes d'huile végétale brute en circuits courts"". ""Si c'est pour continuer à construire des autoroutes et voir se développer des biocarburants issus d'une agriculture intensive à grand renfort de pesticides et d'OGM, ça ne fait qu'ajouter un problème à un autre"", affirme Hélène Gassin, chargée de la campagne énergie de l'association. Les producteurs répondent à ces inquiétudes par des ""chartes de bonnes pratiques agricoles"". Sans exclure l'hypothèse des OGM, ils tablent pour l'instant sur la sélection variétale classique pour améliorer les rendements. Gaëlle Dupont ------------------------------------------------------------------------ Des dérivés de la betterave, du blé, du colza... L'ester méthylique d'huile végétale (EMVH), ou biodiesel (diester), est obtenu à partir de graines de colza ou de tournesol broyées. Soja ou palme pourraient également être utilisés. L'huile obtenue est transformée en ester méthylique, qui est ensuite directement incorporé au gazole par les industries pétrolières. La société commerciale Diester industrie et les usines d'estérification sont contrôlées par la filière française des oléoprotéagineux. L'éthanol peut être issu de canne à sucre, de betterave, de blé ou de maïs. En Europe, il est transformé en éther tertio butyl éther (ETBE) - un mélange d'isobuthylène, sous-produit pétrolier, et d'éthanol -, avant d'être incorporé à l'essence. Ce mélange, justifié techniquement selon les pétroliers, est contesté par les producteurs d'éthanol, qui prônent l'incorporation directe, utilisée au Brésil et aux Etats-Unis. La teneur maximale autorisée en biocarburants dans les produits classiques est de 5 %. Cette proportion monte à 30 % dans les flottes ""captives"" (transports en commun, voitures officielles). Le taux moyen d'incorporation des biocarburants en France ne s'élève qu'à 1 %. Le volume de production est réglementé en France par l'octroi d'agréments défiscalisés. Le niveau de détaxation est de 350 euros/m3 pour le diester, pour un quota de production de 317 000 tonnes, récemment augmenté de 70 000 tonnes. La filière estime que 800 000 hectares pourraient être consacrés en France au colza énergétique, contre 300 000 aujourd'hui. Pour l'éthanol, le niveau de détaxation est de 380 euros/m3. La France produit 1,3 million d'hectolitres d'éthanol ; 25 000 hectares de terres y sont consacrés. Selon la filière, remplir l'objectif de l'Union européenne de 5,75 % de teneur en biocarburants demanderait la mobilisation de 309 000 hectares de blé (7 % de la sole) et 62 000 hectares de betteraves (14 % de la sole), soit 3,9 % des surfaces disponibles. La production de cultures énergétiques est aidée à hauteur de 45 euros par hectare par l'UE. Le Brésil est le premier producteur mondial d'éthanol (120 millions d'hectolitres), devant les Etats-Unis (106 millions d'hectolitres). ------------------------------------------------------------------------ Le soutien du Conseil économique et social Le Conseil économique et social a adopté, le 28 avril, un rapport sur les ""débouchés non alimentaires des produits agricoles"" très favorable aux biocarburants. ""Il ne faut pas attendre que les cours du pétrole atteignent 50 dollars le baril (niveau auquel les biocarburants seraient compétitifs) pour mettre en place des filières de substitution"", affirme le texte. Son rapporteur, Jean-Claude Pasty, s'alarme de voir la France ""dépassée par l'Espagne pour l'éthanol et par l'Allemagne pour le biodiesel"", et s'élève contre les ""disparités fiscales"" dans l'Union européenne. ""Les décisions nécessaires n'ont pas été prises à temps, affirme M. Pasty. Les contingents n'ont pas été augmentés. Le ministère des finances n'aime pas beaucoup les mesures de défiscalisation. Il y a aussi eu des blocages du côté du ministère de l'industrie : ils ont toujours estimé que le développement de l'éthanol aggravait le déséquilibre du raffinage pétrolier français."" ""On produit trop d'essence en France et pas assez de gazole, ajoute-t-il. Leur position est donc beaucoup plus ouverte sur le biodiesel."" • ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 28.05.04 "
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