http://www.cyberpresse.ca/article/20060921/CPSPECIAL11/609210429/6108/CPSPECIAL11 Éric Moreault Le Soleil Hilbert, Wisconsin Les 4000 vaches de Kenn Buelow ne donnent pas que du lait, elles produisent aussi une énorme quantité de fumier. Mais toute cette bouse de vache n'est plus un problème depuis qu'elle produit assez d'électricité pour 300 maisons, tout en générant un intéressant revenu d'appoint. Les installations de la Holsum Dairies, au Wisconsin, sont impressionnantes. Bien sûr, dans deux bâtiments grands comme des hangars d'avions, il y a des vaches à perte de vue. Non, celles-ci ne montent pas sur des tapis roulants pour produire de l'électricité. Elles produisent naturellement l'ultime source d'énergie renouvelable : le méthane. Le méthane, principale constituante du gaz naturel, est extrait d'une cette biomasse renouvelable, gratuite et disponible en grandes quantités en tout temps : le fumier. Chaque vache en produit quatre fois son poids, environ trois tonnes par année. Comment ça marche? Le fumier descend, par gravité, vers un énorme réservoir enfoui dans le sol - le digesteur. La température y est maintenue à environ 38 degrés Celsius. Pendant 20 jours, les bactéries digèrent les composantes volatiles et génèrent le biogaz, tout en éliminant la moitié du phosphore et les agents pathogènes qui peuvent contaminer l'eau. Le biogaz alimente, en brûlant, un générateur qui produit de l'électricité. Celui-ci est raccordé aux lignes de transport de la compagnie locale. En d'autres endroits, le biogaz est purifié et envoyé par pipeline dans un réseau de gaz naturel. Les fermiers comme Kenn Buelow réalisent peu à peu les profits qu'ils peuvent tirer de ce que nos voisins du Sud appelent la cow power - que nous pouvons librement traduire par «kiloVaches-heure». La Holsum produit près de sept millions de «kiloVaches-heure» par année, avec un profit d'environ un quart de millions de dollars. Et s'attend à récolter des revenus supplémentaires en vendant à la Bourse de Chicago des crédits carbone pour la réduction de gaz à effet de serre (GES). Le digesteur coûte plus d'un million $, mais il se rentabilise généralement en cinq ans. Surtout que plusieurs États subventionnent son acquisition, parfois jusqu'à 40 % du coût, comme au Vermont. La beauté de la chose, c'est qu'il n'y a pas que le fermier qui y trouve son compte. Notre planète aussi. Cette méthode permet en effet l'élimination directe d'une source non négligeable d'émissions de GES. Le méthane est 20 fois plus dommageable que le gaz carbonique (CO2) en impact (voir autre texte). Autre avantage, le digesteur élimine jusqu'à «95 %» des odeurs. En effet. Malgré la taille industrielle des lieux et la chaleur de juillet, on «respire». Seul inconvénient, il faut un nombre important de bêtes pour rentabiliser l'opération. Mille vaches ou 2000 cochons semblent un minimum pour l'instant. Toutefois, un propriétaire d'une ferme de 200 vaches, au Vermont, a trouvé une façon d'y arriver en ajoutant dans le digesteur tout l'excédent de ses récoltes. Aide à la communauté Kenn Buelow, lui, a découvert un moyen d'aider sa communauté et d'augmenter la production d'électricité. Il permet à la municipalité de venir déverser par camions ses excédents d'égouts, lors de pluies abondantes qui causent des débordements, ce qui évite la construction supplémentaire de coûteux bassins de rétention. Ce à quoi s'employait d'ailleurs un travailleurs municipal lors de notre passage. De là à penser que le fumier des animaux de la ferme va se substituer aux autres moyens de production d'énergie, il y a un pas qu'il ne faut pas franchir. La production reste marginale - le Vermont, par exemple, vise 4 % du total à moyen terme. Mais dans un contexte où le prix du pétrole et du gaz explose et qu'on commence à voir la fin des réserves mondiales sur un horizon d'une cinquantaine d'années... Comme le disent plusieurs scientifiques, la solution à notre dépendance aux énergies fossiles et à la réduction des GES passe par la diversification des procédés de production. Le potentiel est là. Aux États-Unis, on évalue que les digesteurs en opération en ce moment empêchent les émissions de 66 000 tonnes de méthane dans l'atmosphère, tout en fournissant de l'électricité pour 20 000 domiciles. Mais à plus long terme, les quelque 70 000 fermes laitières et porcines pourraient produire assez d'énergie pour 560 000 maisons et couper 1,4 million de tonnes de méthane. Reste que dans le cas précis des vaches, les fermiers aimeraient certainement pouvoir récupérer aussi leurs éructations : les rots représentent 85 % des émissions de méthane. - - - - - - - - - - - - - - - - - Bienvenue à l'ère des kiloVaches-heure http://www.cyberpresse.ca/article/20060921/CPSPECIAL11/609210430/6108/CPSPECIAL11 Éric Moreault Le Soleil Au Vermont, des consommateurs exigent qu'un quart, la moitié, voire la totalité de leur énergie soit produite à partir du fumier de vaches ou de cochons. Et ils payent sans sourciller cette électricité 30% plus cher. Depuis quatre ans, la Central Vermont Public Service (CVPS), l'équivalent d'Hydro-Québec, s'est lancée dans la production du cow power, qui pourrait se traduire par kiloVaches-heure. «Quand on analyse tous les bénéfices sociaux, économiques et environnementaux, on s'est dit qu'il fallait le faire», explique David Dunn, ingénieur principal en énergie et responsable du projet à la CVPS. D'ici 2010, la CVPS veut que les kiloVaches-heure soient parmi le top 10 des énergies renouvelables aux États-Unis. Et certains citoyens sont prêts à y contribuer. Ils sont environ 2500, 2 % des clients, un nombre qu'on veut doubler dans les prochaines années, qui paient leur électricité 11 cents du kWh, soit quatre cents de plus que les autres (les Québécois paient environ 6 cents du kWh). Les fermiers reçoivent cette différence pour les aider à produire de l'énergie verte. L'excédent, quand les fermiers ne répondent pas à la demande, est versé dans un fonds d'énergie renouvelable. Les fermiers ne se sont pas fait prier pour embarquer. Même si, au départ, ils étaient plus intéressés par le fait que le digesteur qui transforme le fumier en méthane élimine aussi les odeurs nauséabondes. Le programme vermontois est né de la nécessité d'avoir plus de production locale. En ce moment, un tiers de l'électricité est produit par la centrale nucléaire et un autre tiers par Hydro-Québec. Dans les deux cas, les contrats arrivent à échéance. D'où l'idée de s'affranchir le plus possible d'une dépendance aux importations d'énergie. Pour l'instant, une demi-douzaine de fermes participent. M. Dunn reconnaît que les plus gros établissements, 1000 vaches en montant, sont les plus intéressés. Mais il croit que les percées technologiques et la demande permettront d'ici peu de rentabiliser la production pour des fermes plus petites. Déjà, à la CVPS, on estime que ce programme fonctionne bien parce qu'il y a un lien important entre les clients, l'énergie produite et les retombées locales, en plus du sentiment que chacun pousse à la roue de la protection de l'environnement. Mais depuis quelques mois, un nouveau facteur rend cette énergie encore plus séduisante : la grogne populaire contre les éoliennes. «Nous avons certains problèmes. Rien n'a bougé depuis un an», reconnaît M. Dunn. Les obstacles sont les mêmes qu'au Québec : pollution visuelle, syndrome «pas dans ma cour», impact sur le tourisme, etc. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Transformation du fumier en électricité : le Québec lève le nez http://www.cyberpresse.ca/article/20060921/CPSPECIAL11/609210431/6108/CPSPECIAL11 Éric Moreault Le Soleil Le Québec traîne de la patte dans la transformation du fumier en électricité, une pratique largement répandue en Europe et qui s'implante de plus en plus aux États-Unis. Raisons : le prix dérisoire de l'électricité et un manque de volonté politique. «Ici, le prix (d'achat aux producteurs indépendants) n'est pas assez élevé. Ça prend de grandes capacités de production pour justifier les investissements et une volonté politique pour espérer que ce soit rentable», estime André Simard, de la firme d'ingénieurs du même nom qui offre des services d'exploitation et de mise en valeur des biogaz. Bio-Terre Systems, qui a développé une technologie adaptée à la production porcine et au climat du Québec, plaidait exactement la même chose, il y a neuf mois, lors de son passage devant la Régie de l'énergie. Et les résultats sont là : 200 kWh pour chaque mètre cube de lisier. Qui plus est, la production de biogaz est susceptible «de contribuer à accroître notre autonomie énergétique tout en réduisant substantiellement les effets négatifs de l'agriculture sur l'environnement». En fait, Hydro-Québec n'achète pas d'électricité produite à partir de la biomasse, mais on se dit «ouvert à l'idée». On signale qu'un projet-pilote, avec Bio-Terre, est en cours à Saint-Odilon, en Beauce, dans une ferme de plus 3500 porcs. La production d'électricité ne débutera pas avant 2007. On est loin du Vermont où l'équivalent de la société d'État québécoise pousse très fort sur son programme et où certains consommateurs acceptent de payer plus cher une électricité produite à partir d'une énergie renouvelable (voir autre texte). Et ainsi contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Pourtant, au Québec, près de 10 % des émissions de GES proviennent du secteur agricole, dont le tiers de la gestion du fumier, en grande partie liée aux 8 millions de m? de purin de porcs, l'équivalent annuel de quatre fois le Stade olympique de Montréal rempli à ras bord. Sans tomber tout de suite dans la production d'électricité, Marilou Desjardins estime qu'il serait simple d'installer des bassins couverts avec captage de biogaz. Le biogaz serait brûlé par une torchère, comme au terrain d'enfouissement de Québec à Saint-Tite-des-Caps, afin de limiter les émissions de GES, de contrôler les odeurs et de bénéficier de sous-produits. «Si c'est trop complexe, les fermiers n'embarqueront pas», croit l'ingénieure en environnement, qui a consacré son mémoire de maîtrise à la question en 2004. Mais quand ceux-ci y verront les avantages et la relative simplicité, «ils seront peut-être intéressés à aller plus loin». Bref, les digesteurs s'avèrent intéressants pour d'autres considérations que la seule production d'énergie «verte» et la réduction des impacts effet sur l'environnement. Ils constituent aussi une façon de réconcilier la population, de plus en plus urbaine, avec la production animale.
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